Indiscipliné.e.s

Ce numéro s’ouvre aux chercheur.e.s in(ter)-, pluri-, poly-, disciplinaires, « indisciplinaires » selon le mot d’Edgar Morin (2005), ou même indiscipliné.e.s, qui réfléchissent sur leur propre pratique. En continuité avec une approche critique du savoir parcellisé de la science contemporaine, il donne voix à des méthodologies et/ou sujets de recherche qui jouent avec les cloisonnements disciplinaires.

Si la science est balisée par des disciplines, selon Marcel Mauss ses découvertes ont toujours pour lieu « une vilaine rubrique, car c’est généralement dans ces domaines mal partagés que gisent les problèmes urgents » (Mauss 1934 XXX). Et en effet, nombre de recherches ambitieuses se trouvent en porte-à-faux avec leur contexte disciplinaire, taxées, disait Mauss, de « disgrâce et d’opprobre » : la dimension politique est présente.

Et si l’indiscipline – comme inaptitude à obéir, à se soumettre aux règles que s’est données la communauté à laquelle on appartient -, s’accompagnait irrémédiablement d’une « discipline de soi » ? Michel Foucault là offre un angle d’attaque pour penser l’articulation de ce paradoxe e porno français, à travers son étude des « corps en résistance » (cf. Arianna Sforzini : Michel Foucault : une pensée du corps, Paris, PUF, 2014). Ce numéro incite à l’indiscipline disciplinée comme force critique, capacité de transformation, de subjectivation ou encore comme espace de liberté.

Entre douleurs et souffrances

La douleur est une donnée de la condition humaine, tout le monde y est confronté à un moment ou à un autre. Impossible d’échapper ne serait-ce qu’à un mal de dos, à une migraine, une angine, une écorchure, une brûlure, une chute. Et, paradoxe, parfois pour soigner la maladie ou la plaie il faut encore avoir mal. Pourtant, son paradoxe est d’apparaître toujours comme radicalement étrangère à soi quand elle frappe.

Nos sociétés occidentales connaissent de longue date porno un dualisme entre le corps et l’âme (ou l’esprit). Il y aurait alors une douleur qui serait physique et une souffrance qui serait psychique. Cette distinction oppose le corps et l’homme comme deux réalités distinctes. Mais une douleur qui ne serait que « corporelle » est une abstraction comme le serait une souffrance qui ne serait que « morale ». Qu’elle soit choisie ou subie, il n’existe pas une douleur sans sa perception et sans le sens qui lui est attribuée.

La douleur n’écrase pas le corps, elle écrase l’être humain dans son entier. Même si elle touche seulement un fragment du corps, elle ne se contente pas d’altérer la relation de l’homme à son corps du sexe amateur, elle diffuse au delà, elle imprègne les gestes, traverse les pensées. Si la douleur restait paisiblement enfermée dans le corps, elle n’aurait guère d’incidence sur la vie quotidienne. Nécessairement elle déborde le corps. Elle est donc vécue comme une souffrance.

Ce numéro explore la pluralité de la douleur, sa dimension historique et sociale, et les jeux complexes de la relation douleur-souffrance, de la douleur imposée par les circonstances (torture, maladies, séquelles d’un accident, douleurs chroniques, etc.) à la douleur choisie (sport, body art, modifications corporelles, etc.).

La préadolescence existe-t-elle ?

L’allongement de l’adolescence a donné lieu à de nombreuses études tant sociologiques, que psychologiques et économiques. Il n’en est pas de même, en France, sur la transition d’âge entre enfance et adolescence. Pourtant, les questionnements qui entourent l’anticipation de l’adolescence relèvent à la fois d’enjeux sociétaux, médicaux, institutionnels et économiques.

Depuis les années 1980 aux États-Unis et plus récemment en Europe, une nouvelle catégorie d’âge, les préadolescents, semble émerger. Or ce nouvel âge de l’enfance se construit dans un flou sémantique et une indétermination des bornes d’âges. Alors que les frontières sociales et biologiques de l’enfance sont mises en question, aucune définition stable ne s’affirme. A la croisée entre le médical (la question des pubertés anticipées), le marketing et la communication (la multiplication des produits à destination de cet âge), le social (l’impression d’une diminution de l’enfance), le culturel (l’apparition d’une « sub-culture tween »), l’institutionnel (intervention des politiques socio-éducatives) et le juridique (l’abaissement de l’âge de la responsabilité juridique), ce nouvel âge pose nombre d’enjeux aux sociétés contemporaines, quel que soit le continent.

La question des pubertés anticipées interroge le médical. Les concepteurs de produits nouveaux s’intéressent à ce marché. Les sociologues observent le développement d’une « sub-culture tween ». Les institutions cherchent à adapter leurs politiques socio-éducatives. L’abaissement de l’âge de la responsabilité légale pose des problèmes juridiques. Alors que les frontières sociales et biologiques de l’enfance sont mises en question, une définition stable de la préadolescence s’affirme-t-elle pour autant ?

Toutes ces questions demandent une problématisation et une approche capable de saisir l’expérience de la sortie de l’enfance et de l’entrée dans l’adolescence du point de vue des différents acteurs qui y sont impliqués : parents, professionnels de santé, de l’éducation, du marketing ou des médias, mais surtout du point de vue des enfants, de leurs manières de penser et d’agir, de leur capacité d’intervenir activement dans la société en se l’appropriant et contribuant à sa transformation.

Penser le religieux

Ce numéro de la Revue des sciences sociales met en confrontation diverses manières d’analyser le « fait religieux », en présentant un débat à plusieurs entrées :
– entre différentes disciplines souvent en résonnance comme la sociologie, l’ethnologie, l’anthropologie, l’histoire, la philosophie ou les sciences cognitives,
– entre des modalités variées d’analyser le religieux dans une même discipline,
– par la comparaison des approches selon les univers religieux,
– par le repérage de spécificités nationales : on pense en particulier à « l’exception française » que constitue l’inscription de la laïcité dans la Constitution de la République.

Des auteurs réfléchissent ici sur leurs recherches passées ou présentes, d’autres analysent des spécificités propres à tel pays (c’est le cas de la France surtout, dans ce dossier, mais aussi de l’Allemagne), d’autres encore comparent les traitements sociologiques de différentes religions ou confrontent diverses approches disciplinaires.

Les articles s’organisent autour de trois axes, trois temps en quelque sorte du traitement de la question du religieux :

1. Comment se construit aujourd’hui le rapport au croire ? Quelle est la relation particulière que nous entretenons avec les êtres invisibles, quels effets ont-ils de nos jours sur nous et quelle est, de ce fait, leur consistance à la fois ontologique et sociale ? L’analyse critique, pour certains, permet de considérer les manifestations du surnaturel ou de la transcendance comme explicables, voire prédictibles. Pour d’autres, la tradition critique qui s’attache depuis les Lumières à déconstruire le religieux, ne s’oppose pas nécessairement à ce dernier : obligeant les religions à se mettre en question, elle les pousse à se renouveler et paradoxalement elle devient le moteur d’une productivité remarquable, qui explique en grande partie le « retour du religieux » à notre époque. Ce retour prend par ailleurs des formes diffuse, le religieux se révélant imprégner de nombreux aspects de la vie quotidienne et de l’inscription des individus dans leurs sociétés. Il existe une médiatisation de la religion (par la retransmission télévisuelle d’événements comme les déplacements du pape) impliquant une réflexivité des croyants aussi bien que des non croyants sur le religieux.

2. Quelles sont les figures sous lesquelles se manifeste de nos jours le religieux ? Plusieurs articles traitent ainsi de l’irruption de ces formes : dans le succès tout à fait sécularisé d’un terme comme « avatar », dans les jeux vidéo, dans les pratiques thérapeutiques alternatives (mais aussi dans les formes tout aussi « irrationnelles » de croyance dans la médecine académique), dans les expériences personnelles de la transcendance, ou dans la revitalisation de mythes anciens par l’art, la psychothérapie ou les sectes.

3. Enfin, que faire du religieux, aujourd’hui ? L’enseigner, ou enseigner comment l’interpréter ? Inscrire la laïcité dans les principes d’une démocratie, au risque de faire de la laïcité elle-même une religion ? Quels sont les outils que nos sociétés se donnent pour penser le religieux ?